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Interview pour le magazine en ligne CinemaFantastique.net, par Damien Taymans | 10-01-2009
Haute Tension, La Colline a des Yeux, Vinyan, À l’intérieur, Donkey Punch, Qui a tué Bamby…autant de films à l’univers violent pour lesquels vous avez œuvré. Pourquoi ce choix ?
Pour deux raisons. La première tient au fait que ma musique recèle une part très sombre, un témoignage d’angoisses et de désespoirs parmi les plus noirs. Lorsqu’elle est lumineuse, c’est souvent l’éclat d’un soleil trop violent, une ligne douloureuse. C’est particulièrement vrai pour les pièces que j’écrivais à l’époque de Haute Tension, et qui ont dessiné cette voie dans un certain type de cinéma. Il faut dire que j’écrivais de manière artisanale, au beau milieu de la nuit, parfois seulement à l’aube, dans mon 9m2 sans douche sous les toits de Paris et que tout ça avait une allure de recueillement monacal. Je ramassais tout l’univers du dehors, une sorte d’implosion sourde dans ce tout petit espace. Une galaxie immense et silencieuse; imaginez la violence de cette musique forcée de se taire à cause du voisinage. J’ai œuvré minutieusement, dans l’ombre et le silence, en résumé.
La seconde est malheureusement due au manque de culture des musiques électroniques, électro-acoustiques, et plus généralement contemporaines de mes… contemporains, justement. Quand je dis manque de culture, j’entends en cela qu’ils n’en écoutent pas. Ca me fait toujours doucement rigoler de repenser à Boulez qui dit dans ses Relevés d’Apprenti que la ménagère des années 2000 allait siffloter du Schoenberg en allant faire ses courses. Ha ha ha. Même pas du Radiohead, alors du Schoenberg, pensez-vous... Quand on écoute du Ligeti comme si c’était du Bach, ou du Pan Sonic comme si c’était du Anne Sylvestre, on a moins tendance à trouver ce type de musique, de sons, de textures, un brin “chelou” comme ils disent.
Moi j’ai plutôt le sentiment d’écrire de la musique classique dans sa forme. C’est comme ça que Out of the mundial, miniature liturgique pour l’élimination de la France en 2002 (je m’en fout du foot, hein, vraiment, c’est juste que j’étais fasciné par le retour dans la noirceur des vestiaires de Desailly, au ralenti, en apnée), s’est retrouvée sur la scène de la mort de la mère dans Haute Tension. Pareil pour le générique début, où je gémie plus que je chante, en hommage à Faustina Mauricio Mercedes, une quasi-sainte qui en 2001 "a nourri au sein les quinze clandestins qui dérivaient sur une embarcation de fortune entre Saint-Domingue et Puerto-Rico". Mais bon, tout ça fonctionne superbement bien au final.
Donc, le raccourci musique électronique / contemporaine = bizarre, donc science-fiction ou fantastique, a la vie dure. On ne m’a jamais sollicité pour une comédie légère...
Vous n’avez pas peur d’être étiqueté compositeur pour films « d’horreur » ?
Si. Pour les raisons évoquées précédemment. Je fais de la musique pour Stanley Kubrick depuis toujours, mais ce con est mort avant de m’avoir téléphoné. J’attends aussi avec impatience de travailler avec Michael Mann, Soderbergh ou Bruno Dumont par exemple.
Mais attention, il se trouve qu’au bout du compte j’adore travailler sur des films de genre. J’y bénéficie d’une liberté de ton et d’expérimentation sans pareil, quasiment inenvisageable sur des films plus traditionnels, les producteurs étant de plus en plus conservateurs, dramatiquement. Et ils le sont pour tout. Le casting, le script, alors la musique, pensez-vous, on va pas s’aliéner la ménagère de moins de cinquante ans, c’est que ça coûte cher un film, aujourd’hui, et avec tout ces gangsters qui téléchargent des DVDrip, on est pas sorti de l’auberge ma bonne dame. Il nous faut genre Les Choristes, ou au moins du Hans Zimmer.
Enfin, la place du son dans ces films y est très importante, et les réalisateurs y portent une très grande attention. On travaille beaucoup, on cherche, on est pas juste à illustrer. Il faut construire un personnage à part entière de la musique.
Comment travaillez-vous sur la musique d’un film et quelle est votre collaboration avec le réalisateur ?
Il n’y a absolument aucun système. A chaque réalisateur, à chaque film c’est différent. Sans parler de l’état du projet au moment où l’on s’y met. On peut travailler très en amont, comme sur Vinyan, au moment du script, ou complétement à l’arrache comme sur A L’Intérieur, où le film était déjà monté quand je suis arrivé.
Mais il y a des constantes. La première, c’est l’angoisse, car il faut réinventer tout un univers personnel à partir de celui d’un autre, comprendre le film, sa forme, son rythme, ses couleurs. Je ne regarde jamais le film avant de me mettre à travailler. Je commence par le regarder une première fois en jetant des marqueurs sur les moments qui me semblent opportuns, puis j’éteins les machines pendant un assez long moment. Je ne regarde plus le film, je marche, je note des idées, je chante. Puis je prépare mes instruments, je veux dire je programme mes instruments avec max/msp, je cherche des couleurs sur mes synthé analogiques, sur mon préampli guitare. J’enregistre, pour moi, ce que m’évoque le film, là où lui et moi on se retrouve. Je fais des pièces complètes qu’on ne retrouve souvent que sur la bande originale, quand elle sort (!). Après, tout ça devient le matériau d’origine sur lequel je vais travailler, à l’image. Là, c’est des heures (des heures !) sur une entrée, un détail, une ou deux images, le plus souvent avec mon collaborateur, Sébastien Savine, monteur son / mixeur / créateur sonore inégalé avec qui je fais quasiment tous mes films. Et on se rend malade pour une courbe de fade in, pour une attaque, une résonance, c’en est pas croyable. Des fois on se dit qu’on est des grands malades et que personne ne voit jamais la différence, mais bon, c’est pour nous, pour le film, on jubile quand c’est parfait, inattaquable, quand c’est ça, quand c’est fait. C’est particulièrement parlant sur Vinyan où la musique est un tableau abstrait mouvant, c’est elle qui raconte la descente aux enfers, la folie, le désordre physique et mental. Je vous invite à en faire l’expérience dans une vraie salle de cinéma, avec des basses et du 5.1, pas juste le centre qui gueule les dialogues. Sur la dernière demi-heure du film, par exemple.
Quel est votre univers cinématographique ? Avec quels réalisateurs souhaiteriez-vous travailler particulièrement ?
Je n’ai jamais regardé un film d’horreur ni un film fantastique de toute ma vie. J’aurai bien trop peur. Et puis c’est dégoutant. Quand on me dit que parfois, je fais du Carpenter, je me marre doucement.
Mon univers cinématographique, c’est Ludwig ou L’innocente de Visconti, 2001 ou Full Metal Jacket de Stanley Kubrick, Cassavetes, Altman, tout Altman jusqu’à Short Cuts, Thief de Michael Mann, The Deer Hunter, Heaven’s Gate de Cimino, Badlands de Terence Malick, JLG/JLG, Werner Herzog, Blade Runner et Alien de Ridley Scott...
Et j’aime aussi beaucoup les navets, mais les bons navets, les films de kung-fu, les poursuites de voitures avec de la bagarre, les Die Hard, les films de science-fiction ratés. Ca c’est le chagrin, il n y a pas de films de science-fiction. Y en a pas dix, c’est fou...
Je voudrais travailler avec tous les gens cités plus haut, même ceux qui sont morts.
Et je veux faire une série de 7 saisons avec les mecs de The Wire.
Dans Vinyan, votre musique et la sonorité sont des éléments essentiels du film. Ils instaurent une atmosphère pesante voire étouffante. Comment vous est venue l’inspiration ?
Merci :-)
Fabrice a toujours eu une idée très précise du rôle de la musique dans son film. Pas de la musique elle-même, mais de ce qu’elle devrait apporter au film. Il était comme possédé par son film, et j’ai vécu les scènes de travail les plus violentes de ma jeune carrière, mais les plus enrichissantes aussi. Il m’a poussé dans mes derniers retranchements, et m’a demandé toujours plus loin, toujours plus fort, toujours plus dur.
En vérité, j’étais moi-même dans un sale état au moment de l’écriture de Vinyan, et le désordre étouffant qui en émane, ce doit être le mien. On ne sait plus très bien ce qui vient du film et ce qui vient de vous quand on travaille presque six mois dans un univers aussi oppressant que celui-là. Les choses s’inter-pénêtrent assez profondément, c’est inévitable. Ou alors on fait de la musique de commande, mais ce n’est pas mon métier.
Tout comme Fabrice du Welz avec son cinéma, vous expérimenter votre musique inscrite dans la mouvance de l’electronica. On peut dire que c’était une expérience commune ?
Oui. Entièrement. Nous avons tout à fait conçu ce film comme une expérience, et je suis ravi que vous l’écriviez. Une expérience sensorielle et mentale, une expérience de cinéma. Tout en sachant qu’on laisserait des gens au bord de la route. Mais nous avions décidé d’aller jusqu’au bout, d’être absolument radicaux, à l’image du premier plan où on impose plus de deux minutes de quarante pistes de bruits et de résonances, sur fond noir, puis quelque chose un peu comme le crépis dans Eraserhead (ça n’engage que moi, cette référence, hein).
Je suis très fier de cette expérience, de cette alchimie avec la lumière, le souffle du film. On pourrait quasiment jouer toute la dernière demi-heure en concert, avec les sons du film, comme une oeuvre plastique à part entière.
Qu’est-ce que la musique à images ?
Une belle connerie.
Comment vivez-vous cette soudaine popularité ?
Bien :-) Mais je la vivrai mieux si les gens allaient acheter mes disques, et particulièrement celui qui devrait sortir chez Warp bientôt.
La bande originale de A l’intérieur, par exemple, est bien plus qu’une bande originale, c’est un album complet à part entière qui mériterait un meilleur accueil que celui d’une simple b.o. Mais il y a trop de disques, trop de films, trop de bruit. Je n’ai pas envie de crier plus fort que les autres. Ce disque est magnifique, au delà des références au film. Mais le petit milieu français du disque, et de la musique en général, a vraiment beaucoup de mal avec les démarches qui sortent de l’ordinaire. Alors un mec qui fait de la musique de film, genre considéré comme mineur en France (malheureusement souvent à raison), et de musique de films de genres qui plus est (encore un genre mineur), qui a fait le conservatoire mais qui écrit de la musique électronique qui n’est pas du dance-floor, avec des outils de l’Ircam mais qui n’a pas fait l’Ircam, qui fait des installations sonores avec des architectes, et des concerts bruyants où il n’y a pas d’images, on est pas rendu à Loches comme on dit chez moi. Ici tout est bien rangé dans des petites boites. Heureusement qu’il y a les américains et les anglais. Ils me comprennent beaucoup mieux, ne se posent pas de questions. Ce qui est bien est bien, point. Ils m’appellent, me sollicitent, me parlent bien. Ca redonne la banane.
Comment expliquez-vous cette volonté des réals de la nouvelle vague du cinéma de genre de vouloir collaborer avec vous ?
Ca, c’est plutôt la bonne nouvelle. Une nouvelle génération, du même age que moi, pour qui Kubrick, Doom, Max Payne, The Wire et Glamorama, c’est kif kif (je schématise, ahem). Ils n’ont pas peur, tout simplement. Au contraire du cinéma de papa. Ils jugent le travail à son efficacité réelle, à son exigence.
Et puis je pense, sans vouloir me jeter des fleurs, que je propose quelque chose de réellement différent de la musique de film traditionnelle, et que cette originalité les touche, qu’ils en ont vraiment besoin.
Quel est votre rythme de travail ?
Je fais de plus en plus de films, avec des productions de plus en plus grosses, et les responsabilités qui vont avec. Je fais des disques, des installations sonores, de la recherche. Comme je suis d’une exigence terrible avec moi-même, et avec les autres, je travaille énormément car je veux toujours que tout soit parfait. Même quand je ne travaille pas, je travaille quand même, quand je me saoule la gueule, je travaille, je note tout dans ma mémoire. Il n y a que ma fromagère pour trouver que vraiment, j’ai un métier reposant. Un hobby, pardon.
Quels sont vos projets dans le futur ?
Un film avec Olivier Meyrou sur la justice française et le procès Fourniret en particulier.
Un nouvel album électronique à sortir quand j’aurai enfin envoyé les bandes à Warp.
Un disque avec le compositeur corse Pierre Gambini.
Un album de chanson aux couleurs de Gastr Del Sol, Talk Talk et (smog).
Partir en vacances loin.
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